Autobóz — Retour d’expérience

Posté le 30-07-2024 par Aliaume Lopez – lecture en 8 minutes (≈ 1982 mots)

Cette année j’ai eu l’occasion de co-organiser avec Marie Fortin et Chana Weil-Kennedy le séminaire Autobóz, et je pense intéressant de partager mon ressenti sur cette expérience. Pour celles et ceux qui, comme moi il y a peu, ne connaissent pas Autobóz, cet événement est décrit sur sa page officielle dans la langue de Sheakspeare comme suit :

Autobóz is a yearly week-long invitational research camp on Logic, Automata, and Games. We strive to find each year a remote location to allow a group of about 25 young researchers to work in a distraction-free environment.

Started as a workshop for PhD students in Warsaw, Autobóz has grown to include researchers from all over the world, and multiple publications are direct consequences of the interactions fostered during these meetings.

Cependant, si je devais le décrire en Français, j’utiliserais plutôt les termes suivants :

  1. C’est une semaine de travail collaboratif pour jeunes chercheurs et chercheuses
  2. La thématique de travail est relativement large (au sein de l’informatique théorique)
  3. C’est un très petit événement avec une organisation minimaliste
1.

Cela laisse d’ailleurs peu de places pour les jeunes chercheurs et chercheuses, ou pour la création de collaborations, et en général peu de choses « scientifiquement concrètes » résultent de tels événements.

N’ayant jamais participé à de tels événements, je dois dire que j’étais simultanément assez anxieux et enthousiaste. En effet, sur des groupes plus expérimentés et plus nombreux comme les événements au CIRM à Marseille ou à Daghstuhl en Allemagne, l’organisation est paradoxalement plus simple, car plus formelle : de ma courte expérience, il y a de nombreux exposés et très peu (ou même pas du tout) de sessions de travail en petits groupes.11 Au contraire, Autobóz est un événement où l’emploi du temps est très ouvert, et qui nécessite donc une plus grande attention des organisatrices et organisateurs. L’idée de pouvoir collaborer toute une semaine avec des collègues sur des sujets de recherche concrets m’a beaucoup plu, et je dois dire que sur ce point-là je n’ai pas été déçu (et je pense que c’est le cas de la plupart des participant·e·s).

2.

Ce comité était composé de David Purser, George Kenison et Filip Mazowiecki. Il a été particulièrement utile pour nous guider dans l’organisation et nous mettre en contact avec l’organisation de ICALP/LICS/FSCD 2024.

J’ai été invité à rejoindre l’organisation d’Autobóz 2024 par Marie Fortin et Chana Weil-Kennedy, elles-mêmes contactées auparavant par le comité de suivi de l’événement.22 Je suis arrivé assez tardivement dans le comité d’organisation, ce qui a été étrangement plus simple, car certaines décisions avaient déjà été prises (en particulier la localisation et les dates). De plus, nous avions à notre disposition une archive de tous les documents utilisés par le comité d’organisation de l’année 2023 ainsi que les réponses à un questionnaire de « retour d’expérience », ce qui nous a été très précieux pour se faire une idée des délais, des coûts et pour préparer l’organisation. Cependant, il a peut-être manqué une feuille de route plus claire, ce que nous avons tenté de produire cette année pour servir de base aux futures éditions d’Autobóz.

Préparer un événement de recherche à petite échelle

Même si je n’ai pas été intégralement en charge de cette partie de l’organisation, je pense qu’il est important de noter que la préparation de tels événements destinés à un public très restreint (25 personnes) pose plusieurs problèmes très concrets :

3.

En effet, si l’objectif est aussi d’avoir de jeunes chercheurs, il est important de ne pas organiser d’événement durant leurs heures d’enseignement.

  1. Il faut convaincre les gens de venir dans un lieu isolé et peu connu durant une période de vacances,33 potentiellement impliquant des coûts de transport élevés et des demandes de visa.
  2. Il faut s’assurer que les participants puissent être financés, ce qui est souvent plus difficile pour les jeunes chercheurs et chercheuses, et qui n’est pas rendu plus simple par le fait que ce n’est ni une conférence ni une école d’été.
4.

En réalité, il est plutôt question de reporter l’impact carbone sur le plus gros événement. D’ailleurs, un certain nombre de personnes ne sont venues qu’à Autobóz 2024 et non à ICALP/LICS/FSCD 2024, ce qui relativise l’impact de cette stratégie.

Une solution partielle à ces problèmes est d’accoler l’événement à un autre événement de plus grande envergure avec une thématique similaire. Dans notre cas, il a été décidé d’organiser Autobóz 2024 juste après ICALP/LICS/FSCD 2024 en Estonie. Notons que cela permet aussi de réduire l’empreinte environnementale de l’événement en permettant aux participant·e·s de ne faire qu’un seul voyage pour les deux événements.44

La partie la plus difficile de l’organisation a été de choisir les participants. En effet, Autobóz est un événement basé sur les invitations et non pas sur une soumission de candidature. L’exercice est intéressant en tant qu’organisateur puisqu’il s’agit alors de bien connaître les membres de la communauté et de « découvrir » les nouveaux doctorants et post-doctorants. Une grande aide a été d’avoir la liste des participants des années précédentes, des listes de suggestions laissées par les membres du comité de suivi, ainsi que les réponses au questionnaire de « retour d’expérience » de l’année précédente.

5.

Comme la semaine est uniquement dédiée à la résolution collaborative de problèmes, ce qui est assez rare, il est important d’avoir des personnes qui ont déjà travaillé de cette manière pour guider les autres et créer une dynamique.

Notre interprétation de la « philosophie d’Autobóz » a été de chercher à avoir un peu moins d’une moitié de personnes ayant déjà participé à l’événement seulement pour avoir un groupe moteur dans l’organisation du travail.55 De plus, l’événement étant destiné à des jeunes chercheurs, nous avons essayé d’équilibrer les proportions de doctorants, de post-doctorants et de chercheurs (fraîchement) permanents. Si nous avons essayé d’avoir une proportion raisonnable de femmes, nous n’avions pas fixé une borne fixe à 50 %, ce qui avait été le cas l’année précédente.

Une fois une liste deux ou trois fois trop longue de candidats potentiels établie, nous avons décidé de faire une invitation « par vague ». Je ne sais pas si cette stratégie était optimale, car cela demandait finalement beaucoup de suivi et de relances pour s’assurer que les gens répondaient, savoir qui en était où dans le processus de réponse, etc. De plus, j’ai utilisé une solution « maison » de publipostage basée sur pandoc et un script python pour envoyer des mails, ce qui a été très pratique, mais s’est avéré inefficace car ceux-ci sont tombés dans le dossier de spam pour beaucoup de personnes.

Pour terminer sur la préparation de l’événement, je pense qu’il ne faut pas négliger le choix des outils de communication. Nous avons utilisé une instance de Nextcloud hébergée par l’IRIF pour partager les documents (factures, formulaires, modèles de courriels, etc.) ce qui s’est avéré infiniment plus pratique que simplement transférer tous les fichiers par courriel tout le temps. L’utilisation d’une feuille de calcul partagée s’est avérée être la chose la plus adaptée pour gérer le suivi des invitations, même si framacalc n’est pas le plus ergonomique des outils.

J’en profite pour souligner que (pour des données non-sensibles) une feuille de calcul partagée avec tous les participants est un moyen de communication extrêmement puissant et remplace avantageusement un formulaire en ligne ou des échanges de mails. Dans notre cas, cela permettait aux invités de savoir qui d’autre allait venir, de remplir leur régime alimentaire, de coordonner leur arrivée à Tallinn, le tout encore une fois sans nécessiter d’interactions particulières.

Parlons argent

Jusqu’à présent, j’ai évité de parler d’argent, car cela a été le point noir de l’organisation. En effet, pour organiser ce type d’événement, il est nécessaire d’obtenir un fond de départ pour payer les réservations pour le transport, le logement et la nourriture sur place. Dans notre cas, cela n’a pas été un problème. Le problème arrive au moment où il faut faire payer les participants. En effet, nous avions opté sans trop réfléchir pour un système en apparence raisonnable mais qui s’est avéré être désastreux : avancer les frais pour les participant·e·s, et leur demander de nous rembourser après l’événement, en passant par un système géré par le CNRS, c’est-à-dire une combinaison de scienceconf et de Chorus. À l’heure où j’écris, il n’est toujours pas possible pour les personnes ayant participé à Autobóz 2024 de payer leurs frais d’inscription, et parfois je me demande si cela sera possible un jour, pour le moment, la date annoncée est septembre 2024 (soit 2 mois après l’événement).

Si je devais conseiller quelque chose, c’est de ne pas faire ça, et de demander à l’hébergement de créer une facture par personne pour que celles-ci payent directement et se fassent rembourser par leur institution.

Une fois sur place

J’avais beaucoup d’appréhension sur le déroulement de la semaine, et je dois dire que j’ai été agréablement surpris. Globalement, il n’y a eu aucun problème grave (à part une cheville foulée et un porte-monnaie perdu), et organiser n’a pas été une charge insurmontable. Je pense que c’est en grande partie dû à l’organisation en amont et le charisme de Chana. Je propose quelques conseils qui me semblent pertinents :

6.

Par exemple, pour que les gens n’oublient pas de manger, sachent qui part en balade, où est le groupe de travail de tel problème, etc.

  • Créer un groupe de discussion sur une messagerie instantanée (par exemple whatsapp) ce qui permet au groupe de se coordonner66 et de sociabiliser plus facilement.
  • Organiser des sessions plénières le matin et le soir pour discuter des problèmes ouverts, de l’organisation des groupes, mais aussi des autres activités (randonnées, baignades, vélo, etc.).
  • Prévoir du café et des gâteaux pour les pauses, et ne pas sous-estimer la gourmandise des chercheurs et chercheuses.
  • Insister régulièrement sur le fait que les groupes doivent être inclusifs, et sur la possibilité de rejoindre à tout moment un autre groupe.
  • Essayer de parler à chaque participant quelques minutes chaque jour.
  • Prendre le contact des organisateurs locaux de l’événement auquel vous êtes accolé. Cela permet d’appeler en urgence une personne ayant un tournevis un dimanche à 16h pour démonter des tableaux blancs afin qu’ils rentrent dans le bus que vous avez réservé.

Continuation

À la fin de ces événements, il ne faut pas oublier de faire remplir aux participants un formulaire de retour d’expérience, et de constituer une petite archive des documents utilisés pour l’organisation qui servira de base pour les éditions suivantes. Ah, et n’oubliez pas les doctorants qui doivent désormais valider des crédits pour soutenir leur thèse et qui peuvent tirer profit d’une attestation de participation pour éviter d’avoir à suivre des cours sur la microbiologie marine afin de valider leur thèse en informatique fondamentale. Mais la question de la formation doctorale est pour un autre article…


  1. Cela laisse d’ailleurs peu de places pour les jeunes chercheurs et chercheuses, ou pour la création de collaborations, et en général peu de choses « scientifiquement concrètes » résultent de tels événements.↩︎

  2. Ce comité était composé de David Purser, George Kenison et Filip Mazowiecki. Il a été particulièrement utile pour nous guider dans l’organisation et nous mettre en contact avec l’organisation de ICALP/LICS/FSCD 2024.↩︎

  3. En effet, si l’objectif est aussi d’avoir de jeunes chercheurs, il est important de ne pas organiser d’événement durant leurs heures d’enseignement.↩︎

  4. En réalité, il est plutôt question de reporter l’impact carbone sur le plus gros événement. D’ailleurs, un certain nombre de personnes ne sont venues qu’à Autobóz 2024 et non à ICALP/LICS/FSCD 2024, ce qui relativise l’impact de cette stratégie.↩︎

  5. Comme la semaine est uniquement dédiée à la résolution collaborative de problèmes, ce qui est assez rare, il est important d’avoir des personnes qui ont déjà travaillé de cette manière pour guider les autres et créer une dynamique.↩︎

  6. Par exemple, pour que les gens n’oublient pas de manger, sachent qui part en balade, où est le groupe de travail de tel problème, etc.↩︎