Ceci est un petit billet qui sert à faire un retour d’expérience sur l’organisation d’événements tels que la fête de la science, qui cherchent à vulgariser l’informatique (fondamentale) à des enfants.
Un peu de contexte
C’est-à-dire avec une variabilité de \(\pm 6\) ans, ce qui est énorme pour ces âges.
Avant de partir définitivement pour la Pologne, j’ai participé à la fête de la science organisée par l’IRIF les 6-9-10-11-12-13 et 16 octobre 2023. Dans ce cadre, le laboratoire accueille des enfants du CP à la 6ème.11 C’est un événement récurrent, qui trouve son origine dans la volonté du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de « promouvoir la science auprès du grand public ». Les organisateurs ont eu besoin de bras supplémentaires, et j’ai donc aidé à faire les “ateliers débranchés”, qui sont des ateliers d’informatique sans ordinateurs.
Quelques remarques
Une méthode courante même en L3 d’informatique.
Il n’est pas possible de suivre les recommandations du gouvernement en terme d’enseignement et de ne montrer que des choses que les élèves “comprennent immédiatement”, car cela veut dire qu’on ne les place jamais dans des situations où ils doivent apprendre quelque chose de non-trivial au vu de leurs connaissances préexistantes.
J’ai cru — naïvement — que l’absence d’ordinateurs allait permettre aux enfants d’être plus concentrés et moins poussés à “cliquer partout jusqu’à ce que cela fonctionne.”22 En réalité, face à un objet qu’il peut manipuler, un élève va systématiquement préférer jouer et essayer de comprendre par lui même, plutôt que d’écouter une solution correcte, peut-être un peu plus théorique, ou formulée d’une manière qu’il ne comprend pas immédiatement.33
Je tiens à préciser que je n’ai pas de compétences particulières pour encadrer des enfants, et que cela peut expliquer une partie de ma frustration suite à cette journée. Cependant, je pense que mes remarques, quoique n’étant sûrement pas nouvelles, seront au moins pertinentes.
Tous les ateliers où les enfants manipulent eux-mêmes les objets sont plus difficiles à gérer, et les enfants sont moins concentrés.
Un exemple typique est le jeu de stratégie Age of Empires ou sa variante Age of Mythology. Le jeu est ludique par lui-même et donne des récompenses à la création de villes, d’armées et d’une économie stable. Une fois que le jeu devient un peu ennuyeux du fait de son côté répétitif, on peut se tourner vers une approche plus “compétitive”, perdre lamentablement, et chercher sur internet les “build orders” et stratégies optimales pour sa civilisation préférée.
Une autre caractéristique des ateliers pédagogiques proposés dans ma session est que la majorité des dispositifs sont présentés sous la forme de jeux. Que ce soit le turing tumble qui est un jeu joueur contre environnement (PvE), le jeu de nim qui est un joueur contre joueur (PvP), il y a (volontairement) une composante ludique associée à la présentation. Or, la réaction standard d’un être humain quand on lui présente un jeu ludique, c’est d’essayer de s’amuser avec. Malheureusement, le concept de stratégie optimale, qui est la raison même pour laquelle le jeu est introduit au départ, ne devient amusant que très tardivement dans l’apprentissage d’un jeu.44
Au contraire, un atelier a particulièrement marché, et je pense que c’est par construction, est la présentation du système de numérotation binaire par le biais d’un tour de magie. Ces derniers font au contraire appel à la curiosité et donnent envie de comprendre comment le tour est fait, ce qui fait une étape de moins pour intéresser l’élève aux concepts qui sous-tendent le tour. De plus, le tour est effectué par l’encadrant, ce qui évite les distractions dues aux manipulations. Finalement, on peut demander à un élève d’effectuer le tour pour vérifier sa compréhension dans une méthode un peu “adversariale”.
Les ateliers qui sont des jeux doivent durer plus longtemps pour intéresser les étudiants sans les frustrer.
J’ai eu le plaisir d’avoir l’intérêt d’un groupe qui, à propos de la représentation des nombres en binaire, m’a dit en substance :
Mais sur l’ordinateur, quand je tape sur la touche 9, il affiche
9
et non pas1001
.
D’ailleurs, cela peut donner l’idée d’un atelier plus “calculatoire” basé par exemple sur l’excellent journal linuxfr sur les processeurs mais plutôt centré sur les tailles de données ? Peut-être sous la forme d’un quizz pour rendre le sujet plus interactif.
Ce qui a lancé le groupe sur la montre numérique d’une des élèves
qui avait un affichage “à l’ancienne”. Une fois au tableau, on a pu dessiner
les différents éléments qui s’allument sur un nombre entre \(0\) et \(9\),
et réfléchir à comment “transformer” la représentation 1001
en
l’écriture en binaire qui allume les bonnes diodes.
Comme c’était compliqué, et que certains élèves étaient encore curieux,
j’ai essayé de leur faire calculer le nombre de pixels sur un écran full HD,
afin de leur faire toucher du doigt la complexité vertigineuse des circuits
qui s’activent dans leur vie de tous les jours.55
Seulement, quand il s’est agit de passer à un autre exercice, certains
élèves voulaient encore effectuer la multiplication, et il a été
très difficile de les faire s’intéresser à autre chose qu’au nombre de pixels
d’une télévision. Et c’est peut-être la remarque la plus importante
qui en découle.
Une fois que le groupe a décidé de s’intéresser à un sujet, il est très difficile de le réorienter vers un autre.
Le tour des ateliers
Les ateliers sont présentés dans l’ordre inverse de mes préférences personnelles.
Les tours de Hanoï est un jeu de type PvE. Contrairement au turing tumble, le jeu n’est pas bruyant, peut se trouver en bois, et est plutôt solide. C’est, dès son origine, un « jeu de réflexion », ce qui se reformule plus vulgairement comme suit : ce jeu n’est pas amusant. On peut même le classer dans la catégorie des casse-têtes avec toutes les propriétés qui en découlent. En particulier, la principale motivation des élèves est la frustration, plutôt que la curiosité. Cela rend l’explication un peu complexe, puisque l’algorithme récursif est finalement assez compliqué à conceptualiser, et donc “peu satisfaisant” pour les élèves. En effet, la récursion demande de gérer une pile d’appel, ce qui est plutôt difficile à faire de tête, qui plus est lorsqu’on est plusieurs sur le même jeu. En résumé, pour la majorité des élèves, la satisfaction de résoudre le casse-tête ne vaut pas l’effort intellectuel.
On peut réaliser des circuits qui comptent jusqu’à un nombre fixé par exemple.
Le Turing Tumble est un jeu de type PvE. La page du constructeur promet la création d’un véritable ordinateur basé sur des billes. Le concept est assez simple, c’est une planche en plastique sur laquelle on fait tomber des billes, un peu à la manière d’un flipper. L’objectif est de disposer sur la planche des obstacles de manière à guider les billes vers les deux sorties possibles. Les points positifs sont une facilité de compréhension, un côté physique “manipulable,” et une expressivité assez large.66 La seconde utilité est qu’on peut introduire des portes au fur et à mesure des exercices et toucher du doigt des “théorème d’impossibilité,” ce qui est un concept fondamental en informatique. Côté négatif, le plastique et les billes, qui ne sont pas forcément adaptés à une classe d’élèves en primaire. De plus, il faudra un jeu par élève, ce qui fait beaucoup de bruit, et demande beaucoup d’argent. Enfin, comme face à un ordinateur avec un éditeur de code, les élèves essaient de faire des modifications locales plutôt que de prendre du recul sur leur exercice, ce qui rend difficile pour l’animateur de donner des explications plus générales sur l’exercice.
Le jeu de Nim est un jeu de type PvP. Le fait de jouer contre un adversaire est à double tranchant. D’un côté, il y a une motivation supplémentaire pour comprendre le jeu, et d’un autre côté, avoir une stratégie optimale n’est pas réellement un objectif : il suffit simplement d’être meilleur que l’opposant, lui-même ne jouant pas avec une stratégie optimale. Enfin, si on peut représenter visuellement les positions gagnantes (et perdantes) en posant des pastilles colorées à côté des bâtonnets, il y a un vrai problème lorsqu’il s’agit de passer a des configurations plus abstraites (représentées par des nombres de bâtons) en utilisant une division par 4.
L’écriture en binaire est un tour de magie. Pour moi, c’est ce qui a le mieux marché. Le tour est extrêmement simple à mettre en place, on peut faire participer les élèves de manière contrôlée, et cela amène à plein de questions sur la représentation des nombres, des caractères et des informations en général, dans un ordinateur.
C’est-à-dire avec une variabilité de \(\pm 6\) ans, ce qui est énorme pour ces âges.↩︎
Une méthode courante même en L3 d’informatique.↩︎
Il n’est pas possible de suivre les recommandations du gouvernement en terme d’enseignement et de ne montrer que des choses que les élèves “comprennent immédiatement”, car cela veut dire qu’on ne les place jamais dans des situations où ils doivent apprendre quelque chose de non-trivial au vu de leurs connaissances préexistantes.↩︎
Un exemple typique est le jeu de stratégie Age of Empires ou sa variante Age of Mythology. Le jeu est ludique par lui-même et donne des récompenses à la création de villes, d’armées et d’une économie stable. Une fois que le jeu devient un peu ennuyeux du fait de son côté répétitif, on peut se tourner vers une approche plus “compétitive”, perdre lamentablement, et chercher sur internet les “build orders” et stratégies optimales pour sa civilisation préférée.↩︎
D’ailleurs, cela peut donner l’idée d’un atelier plus “calculatoire” basé par exemple sur l’excellent journal linuxfr sur les processeurs mais plutôt centré sur les tailles de données ? Peut-être sous la forme d’un quizz pour rendre le sujet plus interactif.↩︎
On peut réaliser des circuits qui comptent jusqu’à un nombre fixé par exemple.↩︎